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Jean-Pierre Nativel, le chauffeur de la Vème République


Il en a vu des préfets, 18 au total depuis 38 ans, et des hommes politiques. Jean-Pierre Nativel, le chauffeur attitré du Préfet de La Réunion va prendre sa retraite dans quelques mois, et est incontestablement l’un des témoins privilégiés de la vie politique de notre île depuis 1975. En exclusivité, il ouvre à 7 Magazine son incroyable album photos et quelques anecdotes croustillantes. Il se livre à Madame Aude avec toute la réserve qui convient à sa fonction, cette discrétion que les Préfets ont tant appréciée.


Par Catherine RONIN - Publié le Jeudi 18 Juillet 2013 à 15:51

Jean-Pierre Nativel, le chauffeur de la Vème République
Qui peut imaginer que l’impassible chauffeur du Préfet, son ombre, a été au milieu des années 60 un musicien célèbre de La Réunion, du groupe qui eut son heure de gloire, les Super-Jets?
La musique ne nourrissant pas le batteur chanteur, et sa petite famille, Jean-Pierre Nativel sera amené à passer un concours administratif qui de fil en anguille l’amènera à être chauffeur du Préfet puis chef du service automobile de La Préfecture, une équipe de 4 chauffeurs. Depuis près de quatre décennies son emploi du temps ne lui appartient pas, et ses quelques moments de liberté ont été pour sa famille et sa course à pied, car ce dernier est un marathonien aguerri (deux fois Paris, trois fois New York...). Debout à 4h30 tous les matins, Le Possessionnais court tous les jours et file à La Préfecture, prêt à intervenir... Madame Aude dit de lui qu’il a toujours le sourire, que son impassibilité l’étonne... La devise de cet homme de l’ombre: «Tout voir, tout entendre, ne rien dire. Conduire, c’est d’abord bien se conduire...». La preuve son message sur son répondeur précise bien qu’il ne vous répondra pas car cela pourrait lui coûter des points... L’humour en plus...

Jean-Pierre Nativel, le chauffeur de la Vème République
Leur rencontre
Madame Aude: Chez un préfet. Lequel, je n’en sais plus rien! A l’époque j’accompagnais mon père dans toutes les réceptions. Il y avait ce soir là la Compagnie des Indes et Monsieur Nativel était tout en blanc, il donnait un petit coup de casquette pour ouvrir la portière. J’avais 17/18 ans... C’était une sorte de garde-à-vous sans garde-à-vous... Plus de trente ans plus tard il a toujours la même prestance.
Jean-Pierre Nativel: Quant à Madame Aude, partout dans tous mes souvenirs elle est là!
Madame Aude: Disons que nous nous connaissons depuis quelque temps...
 
Comment peut-on passer de la musique, la liberté, à un métier qui me semble rigide?
A l’époque je n’ai pas eu le choix, il fallait que je trouve un métier stable. Et franchement aujourd’hui je suis  bien content d’être fonctionnaire
N’avez vous jamais été tenté de changer?
En 1976 je dépendais du Conseil Général et en 1982 lors de la Décentralisation j’ai choisi l’Etat... J’ai été à l’école de la vie et j’ai eu la chance d’avoir ce concours administratif...  Petite confidence si j’avais eu les capacités et les diplômes je n’aurais pas aimé être Préfet. C’est un métier de 8h du matin à 23h, et puis à Paris il ne calculent pas le décalage horaire et appellent à 1 ou 2 h du matin! En cas de coup dur, un Préfet n’a pas le temps de manger, à peine de dormir. Et puis il faut avoir cette capacité à changer de sujet en permanence. A La Réunion je ne pense pas que ce soit la bonne planque!

Jean-Pierre Nativel, le chauffeur de la Vème République
N’avez vous jamais eu de problèmes avec les différentes autorités Préfectorales?
Non jamais, je me suis toujours bien entendu avec les différents Préfets. Je revois encore quelqu’un d’entre eux. C’est vrai, je suis le dernier Réunionnais que les Préfets voient lorsqu’ils quittent La Réunion, c’est moi qui les raccompagne à l’aéroport.
Je peux dire en revanche que j’ai eu deux petites déceptions dans ma carrière de chauffeur. Lorsque François Mitterrand est venu en visite officielle, c’est le seul que je n’aie pas conduit car il est venu avec toutes ses équipes. De même lorsque le Pape est venu , j’ai dû conduire Michel Rocard et non pas la Papamobile...
Y a-t-il une relation de confiance entre le Préfet et son chauffeur?
Il le faut... Beaucoup de personnes me disent d’écrire un livre, mais c’est impensable. Je le répète, «tout voir tout entendre et ne rien dire». Je me souviens de Dominique de Villepin pendant l’affaire Clear Stream, au téléphone dans la voiture, c’est souvent le seul lieu où ils peuvent s’isoler. IL n’y a rien à divulguer. Je dois faire comme si je n’existais pas.
Parlez moi de visites marquantes ?
Les Chirac... Lorsque j’ai conduit Jacques Chirac, il baissait la vitre, il saluait tout le monde. Un homme en VTT s’est approché, a demandé une photo. Pas de problème, j’ai servi de photographe... C’était il y a 14 ou 15 ans...

Jean-Pierre Nativel, le chauffeur de la Vème République
Quelqu’un a-t-il déjà essayé de vous soudoyer des informations?
Les journalistes me demandent si untel ou untel était le plus sympa, qui était le meilleur Préfet... Chacun a sa personnalité, chacun est unique et a marqué son passage... A noter quand même que seul Pierre-Henri Maccioni a été un Préfet natif de La Réunion!
Au point de vue politique a t-on essayé de vous faire venir sur une liste?
J’ai conduit la droite et la gauche. Je refuse d’être catalogué, je suis ni de droite, ni de gauche, je vais vers l’avant. Dans ma vie privée personne ne sais ce que je fais, pas même mon voisin et ça me va très bien!
Comment s’organise votre quotidien?
Je prends la Route du Littoral à 5h15 afin d’être à l’heure à La Préfecture. Ensuite je fais le plan des trajets, je ne dois jamais être en retard et surtout donner l’exemple sur la Route en respectant les limitations de vitesse. 

Jean-Pierre Nativel, le chauffeur de la Vème République
Comment voyez-vous votre retraite dans deux mois?
Je prépare un emploi du temps qui va m’occuper à plein temps... Je vais faire du sport, randonner et courir. J’ai acheté une belle voiture allemande décapotable, d’occasion, que je loue pour des mariages, ce sera ma petite activité. Et puis c’est mieux d’être chauffeur de marriés que de corbillard, non?


Pourquoi aimez-vous Madame Aude?
J’ai un feeling avec elle, je ne sais pas... A force de la voir, elle est toujours identique à elle-même, et il faut le dire elle fait partie des meubles. En tant que chauffeur du Préfet, je ne suis rien. Elle vient me faire la bise... elle est simple, vraie...

Jean-Pierre Nativel, le chauffeur de la Vème République
Un livre d’anecdotes de chauffeur pour ses petits enfants...
Je pourrais faire un livre d’anecdotes pour mes six petits enfants, des anecdotes de chauffeur. J’ai commencé avec une DS noire à vitesse au volant, un seul rétro, pas de ceinture. A l ‘époque il était de bon ton de rouler le plus vite possible. Il nous arrivait souvent d’arriver avant les hélicoptères...
Je me souviens d’un jour, nous étions à deux chauffeurs partis accompagner des personnalités pour un tour d’hélico à Gilot. Ca pouvait à l’époque durer très longtemps... Quelqu’un m’a alors proposé de faire un petit tour d’avion vite fait. Je ne l’avais jamais fait, je rêvais de voir la Réunion de haut. J’ai mis un certain temps à comprendre qu’il m’utilisait comme cowbaye de cours de pilotage pour lester son avions, s’entrainant à faire des atterrissages et des décollages. 

Jean-Pierre Nativel, le chauffeur de la Vème République
Il y a aussi la visite d’un Ambassadeur très inquisiteur... On m’avait dit que je devais pouvoir répondre à toutes les questions. Il était très intéressé par la botanique... Quel est le nom de cet arbre? Je n’en savais rien... Kun Kun, Kasouki, je lui ai répondu n’importe quoi tout en me concentrant pour ne pas oublier ce que je lui avais dit... De beaux noms exotiques qui sonnent bien....Au bout d’une semaine, j’étais au top, le Préfet lui a demandé s’il était satisfait de moi... Il lui a a conseillé de me garder précieusement car je m’y connaissais beaucoup en botanique. Il a même prédit que j’irais loin!
Un autre jour, j ‘étais en blanc et le préfet en civil. Après avoir déposé le Préfet, je m’avance vers un lieu d’inauguration et une femme m’a tendu des ciseaux. Je pensais qu’il fallait que je les tienne... Une terrible méprise qui a duré quelques minutes avant que je ne comprenne qu’elle me prenait pour le Préfet. Ensuite elle ne m’a plus adressé la parole!
 
 
Catherine Ronin

Photos Brice Wong Tze Kioon

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