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Portraits Créoles

Socko Lokaf ou la passion du fonnkèr


A 32 ans, Matthieu V., alias Socko Lokaf a commencé par le Rap avant de découvrir le fonnkèr... Lui, l'amoureux de la parole se livre et nous fait découvrir sa passion très engagée.


Par Chloé Grondin - Publié le Lundi 18 Mars 2019 à 15:30

crédit photo : Bertrand Soubama
crédit photo : Bertrand Soubama
« Ou swazi pa in vwa sé li i kapay aou ».
Dionysien de naissance, Socko Lokaf est actuellement en formation dans le champ du social. Sa maîtrise du fonnkèr, sa passion, il sait la partager... Sa première scène, d’un point de vue musical date de 2006, dans l’ancien Palaxa. Ces dernières années il a eu l’occasion de partager des mots au sein de bibliothèques où encore sur scène que ce soit dans un cadre intime ou face à un public très nombreux.
Il a remporté le prix Dédé Lansor catégorie Fonnkézèr Masculin lors du Koktèl Fonnkèr 2017. Socko Lokaf a également participé en 2018 aux concours Lankreol, permettant à 5 de ses textes d’être publiés. D’autres publications devraient voir le jour courant 2019.Comment tout cela est venu ?

Avec ses mots choisis, il s'anime :  " J’aime tout ce qui est en rapport avec la parole. J’ai commencé par le Rap puis j’ai découvert le fonnkèr. Le choix de la pratique s’est fait naturellement.  Comme on a l’habitude de dire avec mon compère fonnkèr Hasawa « Ou swazi pa in vwa sé li i kapay aou ». De manière simple, voir même instinctive, les idées se sont mêlées, les mots entremêlés et les vers sont nés".

Si simple que cela le fonnkèr? Il tempère: " Certes il ne s’agit pas non plus de simplement écrire, je vous évoque un plaisir, une passion, une impulsion innée qui renvoie à ce que l’on appelle l’instinct. L’écriture n’est pas soumise à des modalités de temps ou de lieu. L’élan créatif n’a pas de réelles contraintes de temporalité. C’est plutôt à moi de me rendre disponible lorsque l’inspiration se manifeste. Apprendre à faire face à cette impulsion qui donne lieu à cette démarche d’écriture".

crédit photo : Moussa M'Bae
crédit photo : Moussa M'Bae
Pourquoi s'adonne t-il à cet exercice, quelle est sa finalité?
Catégorique Socko Lokaf affirme: " Non pas dans un souci de reconnaissance d’autrui ou à des fins purement financières mais plutôt dans cette optique de partage de mots et d’émotion.
Il est important de mettre en avant cette notion qu’est le partage. Sans public, il n’y a pas d’artiste. Mais il est primordial aussi de parler de liberté, surtout d’un point de vue artistique. L’une des plus grandes prisons que puisse rencontrer un poète est celle où il sera amené à ne plus écrire pour lui mais pour plaire à autrui.

La parole reste mon support le plus utilisés. Il est important pour moi de dire. Pour ce faire je travail actuellement sur cette diction. Apprendre à comment dire les mots pour qu’ils puissent prendre vie. Dans un premier temps, j’ai choisi d’exprimer en musique.

 
L'importance d’écrire sur le moment avec l’émotion présente. 
Dans tout ce qui est relatif aux thèmes de prédilection, j’ai pris pour habitude depuis peu d’écrire sur l’émotion, sur l’instant présent, avec les mots qui viennent. Même si j’ai pour fil rouge la mise en lumière de la situation de la Réunion, que ce soit l’impact de la politique coloniale menée ici ou encore la place de l’homme réunionnais au sein de la société. Je prends réellement plaisir à écrire des textes qui tendent vers l’intemporelle. D’où cette importance d’écrire sur le moment avec l’émotion présente.
Il est à la portée de tout le monde d’écrire ou de dire. Aujourd’hui j’effectue ce travail d’apprendre à vivre les mots. Franchir cette limite qu’est la feuille où le texte est écrit. Aller au-delà de la lecture. L’importance de ne faire qu’un avec la parole, de réellement transcendez les mots. Tendre vers cette folie propre à chaque poète.

Folie. Pourquoi ce terme ? Je renvoie non pas à l’idée de nier la réalité mais plutôt à l’acceptation que l’imaginaire devienne réalité. Tout en sachant que cette porte vers la démence demeure une épée de Damoclès. Les mots n’ont pas de maître, le simple fait de les prononcer implique une prise de responsabilité. Les mots ont leur poids et le silence à son prix. Il s’agit pour moi d’évoquer cette notion de lâcher prise, d’écriture libre. Sans la moindre contrainte de forme ou de fond. Même si j’éprouve un malin plaisir parfois à utiliser des jeux de sonorité (assonance(voyelle) ou allitérations(consonne)). L’impression de basculer dans un autre état de conscience
."

 

La vie est sa source essentielle d’inspiration. Il poursuit : " Ce que j’observe et ce que j’écoute. Il suffit parfois d’une parole dite par autrui pour que l’inspiration se manifeste. Certes les sujets peuvent paraître récurrents au vu d’un champ lexical relativement sombre qui me caractérise, mais je prends plaisir à m’abandonner à l’émotion.
Dans ce qui concerne l’écriture en elle-même, je me surprends à avoir de plus en plus faim de mots, faim de les entendre, faim de les dire, faim de les vivre. Pour y remédier je m’abandonne quand le temps me le permet à la lecture ou à l’écoute.
D’un point de vue musical, les poésies qui me parlent le plus sont celles du groupe La Rumeur, Casey mais aussi Frederic Joron ou d’Alex Sorres. Des univers forts. Chacun de ces auteurs utilise des mots qui font résonance en moi.
J’ai été confronté à la problématique de la langue pour l’écriture de mes textes. Quelles langues utiliser ? J’ai commencé à écrire en français. Puis j’ai opté vers le réunionnais. Loin de moi l’envie d’être communautaire, mais la langue de La Réunion regorge de tellement de mots, de tellement de métaphores propres à cette île, qu’il me faudrait plusieurs vies pour venir à bout de tous les connaître.

J’ai été étiqueté comme « celui qui écrit en kréol lontan », car pour beaucoup les mots employés leurs semblent d’un autre temps, d’une époque révolue. Il ne s’agit pas pour moi d’écrire avec des mots qui demeurent absents par moments des dialogues, mais de les utiliser pour qu’ils soient entendus, pour que les oreilles qui les écoutent fassent la transmission à la bouche qui va les exprimer par la suite. Contribuer à la défense d’un patrimoine linguistique consiste aussi à dire ces mots, à continuer de les faire vivre
".
 

Quel serait enfin son rêve ? " Mes perspectives d’avenir sont tout simplement d’écrire des mots, de partager des mots et de vivre ces mots. J’aimerais qu’on choisisse enfin une graphie pour la langue réunionnaise. Il est important que notre langue soit parlée et que l’histoire propre à notre territoire soit enseignée sans le filtre hexagonal.  J’aimerais un peuple fier et souverain sur sa terre, débarrassé de toute politique coloniale".